Grande voyageuse, Noa Berger passe beaucoup de temps à lire ou à travailler dans les coffee shop de France et d’ailleurs. Doctorante à l’EHESS en sociologie et spécialiste du café de spécialité, elle est sans doute l’une des mieux indiquée pour nous parler des coffee shop parisiens et de leurs spécificités.
Quel est ton rapport personnel au café ? Pourquoi avoir choisi d’en faire ton sujet d’étude ?
À l’origine, je n’aimais pas le café, j’étais plutôt thé. J’ai découvert le café et son univers pendant mes études de Master. Je passais alors beaucoup de temps dans les coffee shop pour travailler. Petit à petit, j’ai commencé à m’intéresser à ces lieux innovants où naissaient de nouvelles tendances de consommation. Au moment de choisir un sujet pour ma thèse de doctorat, j’ai décidé de me consacrer à la question des coffee shop et à tout ce que ça recouvre. Je suis tombée amoureuse de la complexité de cet univers et du café de spécialité de la plante jusqu’à la tasse. Un vrai coup de foudre.
Peux-tu nous rappeler la différence entre les cafés traditionnels français qui apparaissent au début du 19ème siècle et les coffee shop d’inspiration anglo-saxonne, voire scandinave ?
En réalité, ils apparaissent même avant, à la fin du 17ème siècle. Les premiers cafés étaient alors réservés à une élite, puis peu à peu des lieux plus populaires ont ouvert. C’est après la Révolution Française que les deux types d’établissements ont fusionné pour se rapprocher davantage de ce qu’on connaît aujourd’hui. Le café a toujours été essentiellement en France un lieu de socialisation, le café en tant que tel n’étant pas au cœur de l’expérience. On note ici une première différence avec les coffee shop où l’offre et le discours sont beaucoup plus axés sur le produit, sa provenance, son terroir et ses arômes. La deuxième différence concerne les méthodes de préparation. Dans un café traditionnel, l’espresso règne en maître. Dans les coffee shop, on propose différentes méthodes de préparation, comme l’extraction douce, avec une forte influence scandinave ou américaine. On y sert des cafés plus aqueux issus d’une torréfaction plus claire. Troisième différence, l’ambiance. Les coffee shop de spécialité adoptent souvent un design plus épuré, avec une forte influence scandinave, pour se distinguer des cafés traditionnels : sols en bois, plantes tropicales, etc.
Les premiers coffee shop apparaissent en France au milieu des années 2000. C’est très récent finalement. Depuis, la France a-t-elle rattrapé son retard ?
Je ne fais pas de séparation aussi nette et je n’aime pas non plus parler de retard. Chaque pays a une culture différente et s’approprie le café de spécialité à son rythme. En France, c’est avec l’arrivée de Starbucks dès les années 90 que les modes de consommation commencent à évoluer. Malgré une approche quasi industrielle, ils ont posé les bases en introduisant le concept d’origine, le design et en empruntant aussi beaucoup de choses à la culture italienne, en démocratisant par exemple le cappuccino. Plus tard, dans les années 2000, les coffee shop de la troisième vague s’en sont inspirés tout en revenant à une échelle plus artisanale. Depuis 2 ans en tout cas on assiste à une explosion du nombre de coffee shop à Paris. À ce jour, il existe dans la capitale plus de 120 établissements qui proposent des cafés de spécialité ou travaillent avec des torréfacteurs locaux. Mais l’émergence du café de spécialité demeure cependant un phénomène très urbain, en France comme ailleurs.
La représentation qu’on se fait du coffee shop est très anglo-saxonne, ou scandinave, mais y’a-t-il un coffee shop à la française et quelles seraient ses spécificités ?
Il y a une grande diversification à l’œuvre dans ce secteur. Dans la réalité, la majorité des coffee shop sont un peu entre les deux, mais si on parle des extrêmes, on a, d’un côté, les coffee shop à l’anglo-saxonne, très puriste, s‘adressant à un public qui recherche ce qu’il a pu trouver à l’étranger. Et de l’autre, on observe des coffee shop qui essayent de séduire davantage un public local en dialoguant avec la culture traditionnelle du café : les barista reprennent les codes vestimentaires des garçons de café, les muffins sont remplacés par de la pâtisserie française, le design s’inspire davantage des vieux bistrots. Il n’y a pas pour autant un seul modèle de coffee shop à la française. Le marché prospère en se diversifiant. Dans le café, on essaye souvent de se démarquer, de se distinguer de ce qui existe déjà.
Quelle est la recette d’un bon coffee shop ? Comment marier la culture anglo-saxonne du coffee shop à la culture française traditionnelle du café ?
Je ne pense pas qu’il y a une « bonne » recette à suivre. La réponse dépend de ce qu’on considère comme bon et de ce qu’on priorise. Est-ce qu’on privilégie un service, un design et des prix qui seront accessibles à toutes et à tous pour toucher un large public et communiquer autour des valeurs de l’ouverture et de l’échange ? Ou bien, est-ce qu’on façonne une ambiance plus luxueuse avec des prix plus élevés pour éduquer le consommateur sur le fait que le café de spécialité est un produit qui demande du travail et qui mérite d’être placé au centre de l’expérience ? Est-ce qu’on relie le café de spécialité à l’idée de la tradition ou à celle de l’innovation ? Chacun veut trouver un bon équilibre, mais on finit souvent par pencher un peu plus d’un côté ou de l’autre, sans que cela soit bon ou mauvais.